30
Amy Wilder et Frank Green furent secrètement conduit à El Paso, où sire Gawain les fit monter dans un avion privé à destination du Canada. Quoique l’un près de l’autre, ils ne s’adressèrent pas la parole pendant le voyage de retour en Colombie-Britannique. Ils étaient tous les deux profondément meurtris et n’avaient pas envie d’exprimer ce qu’ils ressentaient face à cet échec. Ils prirent un taxi à Vancouver. Amy paya le chauffeur avec de l’argent qu’elle gardait caché chez elle, puis elle lui demanda de reconduire Frank chez lui.
L’adolescent descendit de la voiture, la tête basse, et fit quelques pas vers la maison de sa mère. L’inspecteur Wilton l’y attendait.
— Qu’est-il arrivé à ton cou, Frank ?
— C’est seulement une égratignure. Un détraqué s’est mis à tirer sur tout le monde lorsque nous avons essayé de libérer Terra. À cause de lui, nous avons manqué notre coup.
— Qui était avec toi ?
— Des chevaliers de l’ordre dont Terra Wilder fait partie. Et ces gens-là se prennent vraiment au sérieux, croyez-moi.
— Ont-ils l’intention de tenter un deuxième sauvetage ?
— Ils en parlent, mais ils ne savent pas encore où les militaires ont emmené Terra.
— J’ai besoin de savoir tout ce que tu apprendras à ce sujet, compris ?
Frank hocha la tête pour indiquer qu’il collaborerait avec la police. L’inspecteur le laissa entrer chez lui en pensant que cette jeunesse était complètement folle de s’exposer ainsi au danger.
De son côté, Amy tournait en rond dans sa grande maison silencieuse. Elle finit par sauter dans sa voiture et se rendit chez les Penny pour ne pas être seule. Elle leur raconta tout ce qui s’était passé après que les soldats soient venus chercher Terra à l’hôpital de Little Rock, quelques semaines plus tôt. Donald fit des yeux ronds lorsqu’elle lui révéla que le fantôme de Sarah avait changé ses prothèses en os humains. Il fut aussi surpris d’apprendre que Terra faisait partie d’un ordre de chevalerie.
— Alors, non seulement il est extraterrestre et angélique, il est également chevalier de la Table Ronde ?
— Il est le roi Arthur, précisa Amy, découragée. Ils l’appellent tous « monseigneur » et ils feraient n’importe quoi pour lui, même risquer leur propre vie pour sauver la sienne.
— Pourront-ils le retrouver ? demanda Nicole, tout en berçant la petite Mélissa.
— Probablement. Ils ont des informateurs dans les services secrets.
— Est-ce qu’un certain Galahad fait partie de cet ordre ? voulut savoir Donald.
— Oui, c’est un bon ami de Terra. Il a été blessé lors de la tentative de sauvetage. Est-ce que tu le connais ?
— J’ai échangé quelques messages électroniques avec lui sur votre ordinateur, rien de plus.
— Est-ce que ça va aller, Amy ? s’inquiéta Nicole, qui la sentait presque au bord du désespoir.
— Je n’en sais rien… J’ai découvert, au Texas, que je ne connaissais pas du tout l’homme que j’ai épousé. Il n’est pas aussi doux et inoffensif qu’il en a l’air, vous savez. À l’hôpital, il s’est transformé en véritable monstre et il a même lancé des objets à la tête de ses médecins. Un physiothérapeute m’a dit qu’il avait détruit la carrière de plusieurs d’entre eux. Puis, j’ai appris qu’il faisait partie d’un groupe d’hommes qui se prennent pour des chevaliers et qui le vénèrent comme un dieu. Ce n’est pas mon mari… Je ne veux pas qu’il change.
— Probablement que son retour à Houston a réveillé son ancienne personnalité, avança Donald. Quand tout sera fini, il redeviendra l’homme que tu aimes.
— J’ai si peur pour lui, Donald. Il possède des connaissances que les militaires veulent à tout prix. Et si les chevaliers n’arrivent pas à le libérer, qui le fera ?
— Tu ne dois pas perdre la foi, voulut la rassurer Nicole. Terra est coriace. Il a déjà survécu à de grandes tragédies et il le fera encore. En attendant, tu vas rester ici, avec nous.
Amy accepta sur-le-champ. Elle donna la clé de sa maison à Donald pour qu’il puisse aller y jeter un coup d’œil de temps en temps. Ce soir-là, il s’y arrêta après le travail. Sur l’ordinateur de Terra, il composa un message à l’intention de Galahad pour lui offrir son aide. Il savait que le chevalier était blessé et hors de combat pour le moment, mais il voulait l’assurer qu’il avait des alliés au Canada.
* *
*
À Galveston, le seigneur Gawain, de son véritable nom Alan Darrow, s’était rendu dans un parc pour y rencontrer le magicien. Il trouva le sac de papier sur le bord du petit lac et s’accroupit pour nourrir les canards, selon le signal convenu depuis toujours entre l’informateur de la CIA et le chevalier Galahad. Gawain fit les mêmes gestes que son frère d’armes en espérant que le magicien reconnaisse son appartenance à l’ordre.
Gawain était le fils du riche propriétaire d’une compagnie de pétrole du Texas. Il n’avait jamais rien fait dans la vie avant de rencontrer les seigneurs Lancelot et Perceval. Son premier contact avec l’ordre lui avait donné une raison de vivre. Il avait aussitôt mis son immense fortune au service de son nouvel idéal et avait fourni aux chevaliers tout ce dont ils avaient besoin pour entretenir le mythe : des armures, des costumes d’apparat, de la vaisselle fabriquée spécialement pour eux, les bagues que tous devaient porter… Il avait parcouru le monde à la recherche des tissus et des accessoires qui avaient rendu la faction texane de l’ordre plus prestigieuse.
Un vieil homme s’assit derrière lui sur le banc. Gawain sentit son regard le pénétrer jusqu’à l’âme. Galahad lui avait déjà dit que le magicien n’était pas mortel et qu’il possédait des pouvoirs incroyables. Il avait pensé que son romantique frère d’armes exagérait, mais la force qui s’enfonçait dans son corps n’était pas naturelle.
— C’est bien la première fois que vous échouez, déclara le vieil homme après s’être assuré que personne ne pouvait les entendre.
— Il s’est produit des événements inattendus, répondit Gawain sans se retourner.
— Où est Galahad ?
— Il est chez sire Kay qui soigne sa blessure. Je suis Gawain.
— Je sais qui vous êtes, sinon je ne serais pas ici en train de vous parler. Qu’attendez-vous de moi, sire Gawain ?
— Nous voulons savoir si le roi est toujours vivant.
— Il est indemne. Il a eu beaucoup de chance de ne pas avoir été blessé dans la fusillade d’hier.
— Pouvez-vous nous dire où il a été emmené ?
— Il est à l’intérieur d’une montagne dans le nord de la Californie, sur une base militaire fort bien gardée. Vous trouverez toute l’information que vous cherchez parmi les miettes de pain.
Gawain baissa les yeux sur le sac de papier, mais ne fit aucun geste pour en retirer les documents.
— Il faudrait être un spectre pour s’infiltrer dans cette base, poursuivit le magicien sur un ton neutre.
— Avez-vous des gens à l’intérieur qui pourraient nous aider ?
— Pas encore. Je vous souhaite une bonne journée, sire Gawain, et saluez sire Galahad pour moi.
Le vieil homme s’éloigna. Gawain risqua un œil dans sa direction : il le vit marcher lentement sur le sentier de gravier, s’appuyant sur une canne, mais il ne vit pas son visage.
Pendant ce temps, chez sire Kay, le jeune écuyer Marco Constantino marchait entre les paddocks en compagnie de Perceval et admirait les magnifiques chevaux du médecin.
— Un chevalier prend le plus grand soin de son destrier, lui apprit son mentor.
Même s’il était physiquement imposant, Perceval se révélait aussi un homme foncièrement doux qui se souciait beaucoup des autres, ce qui était tout naturel, puisqu’il était aussi psychologue pour enfants. Avec Lancelot, il était l’un des membres fondateurs de l’ordre. Marco ne pouvait trouver un meilleur professeur d’escrime ou d’équitation.
— Tous ces chevaux appartiennent à sire Kay, lui expliqua Perceval, mais il les a tous assignés à des chevaliers de l’ordre qui doivent s’en occuper aussi souvent que possible. Tu vois le cheval blanc là-bas ? C’est le destrier de sire Lancelot. Il n’a jamais perdu un tournoi.
— Où est celui du roi ?
— C’est le cheval noir, près de l’arbre, mais notre seigneur a été victime de son terrible accident de voiture avant même de pouvoir le monter, alors on l’a donné à sire Galahad.
— Faudra-t-il que j’apprenne à monter à cheval, à me battre en tournoi et à manier les armes avant de pouvoir devenir chevalier ?
— Non. Tu dois connaître les règles du code et les appliquer dans ta vie de tous les jours. Le reste est accessoire.
— Lorsqu’ils sont écuyers, tous les chevaliers doivent-il avoir un mentor ?
— C’est notre loi. Sire Lancelot est le mentor du roi, de Galahad et de plusieurs d’entre nous. Les autres ont été entraînés par sire Kay.
— Sire Perceval, pourquoi n’y a-t-il aucun chevalier de moins de quarante ans ?
— Parce que l’ordre n’a pas éprouvé le besoin d’accroître le nombre de ses membres au cours des dix dernières années, j’imagine. Galahad a été le dernier à être adoubé.
— Lorsque je serai chevalier, pourrai-je aussi entraîner un écuyer ?
— Oui, mais tu devras d’abord obtenir la permission du roi. En son absence, c’est sire Kay qui accorde ce privilège.
Un des palefreniers du docteur Mills s’approcha en tenant par la bride un beau cheval musclé. Il ne ressemblait pas du tout aux bêtes que les adolescents de Little Rock montaient lorsqu’ils allaient explorer les montagnes. La bête rousse avait l’œil vif. Elle semblait examiner Marco avec la même curiosité que l’adolescent manifestait à son égard.
— Voici ton cheval, jeune apprenti, déclara Perceval. Il a quatre ans et il s’appelle Aldébaran. C’est sire Gareth lui-même qui l’a entraîné pour toi.
— Pour moi ? En quelques jours seulement ?
— Oh non ! Il a commencé à dresser cet animal il y a des années.
— Mais comment est-ce possible ? Je viens juste de décider de devenir chevalier !
— Sire Kay a le pouvoir de prédire certains événements. Il a vu ton arrivée. Nous savions que tu allais bientôt te joindre à nous, alors nous avons préparé ta monture.
Marco caressa le cheval et se dirigea vers les grands enclos avec Perceval et le palefrenier. Tout l’après-midi, il apprit à guider Aldébaran dans différentes positions de combat. Il comprit très vite qu’il fallait être particulièrement en forme pour être chevalier.
Puisque le code lui défendait de participer aux activités des hommes, Chance demeura au manoir pour nourrir son chevalier préféré à la cuillère. Chris Dawson ne s’en plaignait certes pas. Il était assis dans son lit, calé dans de mœlleux oreillers. Il acceptait ces soins avec reconnaissance, bien qu’il fût troublé par l’amour qu’il ressentait pour cette adolescente qui avait l’âge d’être sa fille. Il avait jadis fait le vœu de n’aimer que son roi et maintenant il se sentait déchiré entre ses sentiments pour Chance et sa loyauté envers Terra.
— Parlez-moi de vous, Galahad, réclama alors la jeune Canadienne. Où êtes-vous né ? Avez-vous beaucoup de frères et de sœurs ?
— Je n’en sais rien. Je suis né à New York, un soir très froid de janvier. Ma mère m’a abandonné à l’hôpital. J’étais un bébé très malade, alors l’État m’a gardé dans un hôpital pour enfants jusqu’à l’âge de trois ans. Ensuite, j’ai été placé sur la liste des enfants à adopter, mais parce que j’étais chétif et plutôt renfermé, les familles qui m’ont recueilli ne m’ont jamais gardé bien longtemps. Mes médicaments coûtaient trop cher et je n’étais pas très… reconnaissant. Je me suis promené ainsi d’un foyer à l’autre jusqu’à l’âge de dix-sept ans. J’étais fasciné par les étoiles et l’informatique, mais mes derniers parents n’avaient pas les moyens de me payer des études supérieures. Alors, je suis parti et j’ai travaillé comme un fou jusqu’à ce que je puisse m’inscrire à l’université de Houston où mes professeurs m’ont donné un coup de pouce. Je ne me suis jamais attaché à mes parents temporaires, alors je n’ai pas vraiment de famille.
— D’où vient le nom de Dawson, alors ?
— C’était le nom de ma mère.
— L’avez-vous revue ?
— Non, et je n’ai pas l’intention de partir à sa recherche non plus. Elle m’a renié à ma naissance, milady. Ses intentions étaient plutôt claires.
— Elle avait certainement une bonne raison de vous donner en adoption, Galahad.
— Je ne veux pas la connaître. Cela briserait ce qui reste de mon cœur.
Chance voulut lui faire avaler un peu de potage mais, la gorge serrée, il détourna la tête.
— Vous êtes fâché contre elle, n’est-ce pas ? Est-ce pour cette raison que vous avez refusé de laisser l’amour entrer dans votre vie ? Vous pensez que toutes les femmes sont comme votre mère ?
— Non, cela irait contre l’esprit du code.
— Probablement, mais c’est quand même ce que vous ressentez, non ?
Il baissa les yeux en faisant de gros efforts pour ne pas pleurer devant elle. Chance déposa le bol et la cuillère sur la table de chevet.
— L’amour, c’est quelque chose de merveilleux, Galahad. Je le sais parce que je vous aime.
— Vous ne devriez pas. Je ne suis qu’un bâtard dont personne n’a voulu, à part le roi et l’ordre…
— Votre statut social ne m’importe guère. Je vous aime pour votre honnêteté, votre compassion, votre tendresse et votre douceur. Je sais que votre cœur a soif et je veux lui donner à boire. Laissez-moi vous montrer ce que j’essaie de vous dire.
Elle prit doucement son visage entre ses mains et l’embrassa. Si Chris n’avait pas eu cette vilaine blessure, il se serait probablement laisser emporter par cet élan de passion.
— Sire Galahad, fit une voix près de la porte.
Chance recula aussitôt : pour rien au monde elle ne voulait mettre Galahad dans l’embarras. Ce n’était que Marco.
— Depuis combien de temps es-tu là ? bégaya l’adolescente en rougissant.
— Depuis suffisamment longtemps pour comprendre que c’est sérieux entre vous deux.
— Que veux-tu, Marco ?
— Je suis venu voir si sire Galahad était suffisamment fort pour me parler un peu du code.
— Je le suis, affirma Galahad. Approche, écuyer.
— Est-ce que je peux rester ? s’enquit Chance pendant que Marco se tirait une chaise de l’autre côté du lit.
— Ces règles ne peuvent être révélées qu’à un apprenti, milady, s’excusa le chevalier.
— Alors, je serai écuyer moi aussi.
— Ce privilège est réservé aux hommes.
— Nous ne sommes plus au Moyen-Âge, Galahad, se défendit Chance. Les femmes ont depuis longtemps prouvé qu’elles ont autant de valeur que les hommes. Je vous en prie, modifiez vos règles et laissez-moi devenir la première femme chevalier du vingtième siècle.
Chris Dawson ne savait plus quoi faire. Il était défendu à un chevalier de causer du déplaisir à une dame, mais il ne pouvait pas non plus consentir à ce qu’elle lui demandait sans s’attirer les foudres de l’ordre. Marco proposa donc de laisser Chance assister à la leçon en tant qu’observatrice. L’adolescente protesta au nom de toutes les femmes du monde. Avant que cette discussion se termine en guerre ouverte entre les deux étudiants, Galahad accepta la suggestion de son écuyer. La seule façon pour Chance d’entendre parler de ce code secret était d’accepter son statut de spectateur. Elle se plia à cette condition et, une fois le calme revenu dans la chambre, Chris leur parla, très à propos, du rôle des femmes dans l’ordre.
— Ce sont des êtres que les chevaliers doivent chérir et protéger. Ils ne doivent jamais leur mentir ni les utiliser à leurs fins. Ils doivent toujours se montrer respectueux et leur obéir dans la mesure du possible. Habituellement, le chevalier sert son roi avec un dévouement aveugle ou bien il devient le champion d’une dame. Dans ce dernier cas, il est préférable qu’il se mette au service d’une femme qui n’est pas mariée.
— Pourquoi ? voulut savoir Marco.
— Parce qu’une femme mariée appartient à son époux.
— C’est absurde ! s’indigna Chance.
— Tu oublies que tu es ici en tant qu’observatrice, lui rappela Marco.
Elle ravala un commentaire désobligeant.
— Le but de la vie du chevalier est de se montrer suffisamment valeureux pour mériter la main de sa belle, ce qui est impossible si elle a déjà un mari, poursuivit Chris. Le mariage est une institution sacrée qui ne peut être dissoute que par la mort.
— Et le mari de la dame risquerait de ne pas aimer l’attention que le chevalier porte à son épouse, j’imagine, conclut l’écuyer.
— S’il est lui-même chevalier, il comprendra la situation et il saura que jamais rien d’immoral ne se produira entre sa femme et son champion. L’honneur est la valeur de base de notre ordre. Si le mari n’est pas chevalier, alors il est possible en effet qu’il ne comprenne pas la dévotion du champion. Un ami de sire Kay, qui appartenait à un ordre britannique, a été tué par un mari jaloux.
— Alors, pas de femme mariée pour moi.
— C’est plus simple ainsi. En général, les dames réagissent bien à la politesse et à la courtoisie des chevaliers, même les femmes modernes. Elles n’aiment pas les brutes et les dictateurs. Rappelle-toi toujours que les émotions font partie de leur domaine. Un chevalier ne doit donc jamais s’en servir contre elles. Il doit respecter cette règle et conserver une distance respectueuse avec sa dame. Il doit être son protecteur et il doit toujours chercher à lui plaire. Il doit courir à son secours lorsqu’elle est en danger et protéger sa réputation. Il ne doit la toucher que lorsque cela est nécessaire et toujours avec respect.
— Même lorsque sa dame l’embrasse ?
— Ce genre de contact ne peut se produire que lorsqu’il y a promesse de mariage, répondit Chris en espérant que Marco ne s’aventure pas plus loin.
— Donc, un chevalier peut se marier ?
— Oui, mais peu le font. L’ordre exige que les chevaliers se rencontrent souvent. Il est difficile pour leurs épouses d’accepter qu’ils passent autant de temps entre eux. Seuls Gaheris, Agravaine, Belliance et notre roi sont mariés. Les autres ont une belle amie dont ils sont le champion.
— Jusqu’où le chevalier peut-il aller pour faire plaisir à sa dame ?
— Il doit obéir à tous ses commandements, sauf ceux qui portent atteinte à son honneur ou à sa réputation. S’il a des doutes, il fait appel à son mentor, qui a plus d’expérience que lui et qui peut le conseiller. Tu vois, Marco, l’ordre est comme une grande famille. Tous ses membres sont frères et ils font le vœu de s’entraider. Est-ce que tu as d’autres questions au sujet de la courtoisie ?
— Que doit faire un chevalier si sa dame insiste pour coucher avec lui mais qu’il n’y a aucun vœu de mariage entre eux ?
— Il est préférable qu’il décline poliment sa demande. S’il crée des liens aussi étroits avec une dame qu’il ne pourra jamais épouser, le chevalier peut être expulsé de l’ordre.
— Merci pour la leçon, maître. Je vais vous laisser vous reposer, maintenant.
Marco le salua d’un léger mouvement de la tête, comme Perceval le lui avait enseigné, et quitta la pièce. Chance posa la main sur le front de Galahad et constata qu’il avait recommencé à faire de la fièvre. Elle lui fit boire un peu d’eau. Cet entretien semblait l’avoir vidé du peu d’énergie qui lui restait. Elle replaça tendrement ses mèches noires autour de son visage.
— Les femmes ne sont pas traitées à mon goût dans votre ordre, sire Galahad, déclara-t-elle, mais j’aimerais bien que vous soyez quand même mon champion jusqu’à ce que vous puissiez m’épouser.
— Je donnerais ma vie pour vous, milady.
Tout simplement incapable de résister à son regard de velours, elle posa un autre baiser sur ses lèvres. « Comment ma mère réagira-t-elle lorsque je lui parlerai de lui ? » se demanda Chance. Elle décida de repousser cette éventualité jusqu’à la reprise des classes.
Plus les jours passaient, plus le chevalier reprenait des forces. Il put même quitter son lit et aller se poster devant la grande fenêtre de sa chambre pour surveiller de loin l’entraînement de son protégé avec le seigneur Perceval. Chance continua de s’occuper de lui. Non seulement son corps se rétablissait, mais aussi son cœur. Un matin, il accéda à son courrier électronique sur l’ordinateur de sire Kay et trouva le message du docteur Penny. Il téléphona en Colombie-Britannique pour obtenir son numéro à la maison puis communiqua directement avec lui.
— Galahad ! s’exclama Donald lorsque le chevalier se fut présenté. Avez-vous de bonnes nouvelles pour moi ?
— Nous savons où se trouve le roi et nous tentons d’organiser un deuxième sauvetage, répondit prudemment Chris.
— J’aimerais en faire partie, si c’est possible.
— Je transmettrai votre demande à sire Kay, qui dirige notre ordre. Comment se porte lady Wilder ?
— Elle est justement à côté de moi, alors je vais vous la passer.
— Galahad ? fit Amy. Savez-vous où est mon mari ?
— Le magicien l’a retrouvé et nous irons bientôt le chercher.
— Le ciel soit loué… Et votre blessure ?
— Elle est presque guérie, milady. Ne vous inquiétez pas pour moi. Sire Kay aimerait savoir si le dragon vous a fait des menaces depuis votre retour au Canada.
— Non, aucune, mais je vis chez des amis en ce moment. Je n’ai pas le courage de retourner chez moi.
— L’ordre peut vous offrir toute la protection dont vous avez besoin.
— Qu’il se concentre plutôt sur la délivrance de Terra.
— Oui, bien sûr. Une fois que nous l’aurons tiré des griffes du dragon, nous nous assurerons qu’il ne soit plus jamais à sa portée.
Un mouvement attira alors le regard du chevalier : Lancelot venait d’entrer dans sa chambre. Galahad annonça à Amy qu’il devait partir et raccrocha.
— À qui parliez-vous ? s’inquiéta le mentor.
— À la reine, sire.
— J’ose espérer que vous ne lui avez pas dit tout ce que vous savez.
Galahad fit signe que non et baissa la tête en signe de soumission. Lancelot s’avança vers lui. John Ambrose, de son vrai nom, était un homme dans la soixantaine, mais il ne paraissait pas en avoir plus de cinquante. Ses cheveux étaient argentés et ses yeux d’un bleu ardent. C’était un homme d’affaires redoutable mais intègre. Il s’occupait des missions spéciales de l’ordre depuis l’accident de voiture de Terra.
— Si nous voulons réussir, cette fois, il ne faudra pas s’encombrer d’étrangers, l’avertit-il.
— Mais lady Amy n’est pas une étrangère, sire, répliqua Galahad en relevant la tête.
— Vous connaissez mon opinion sur cette nouvelle reine et sur les étudiants canadiens du roi. Sire Kay et moi avons décidé de les renvoyer chez eux cette semaine.
— Mais le jeune Marco n’a pas encore été adoubé.
— À quoi cela servirait-il, puisqu’il sera isolé au Canada ?
— Il pourrait en profiter pour enseigner notre philosophie à ses compatriotes, comme Arthur l’a fait.
— Est-il prêt à devenir chevalier ?
— Il connaît le code et la philosophie de l’ordre. Le seigneur Perceval me dit aussi qu’il manie habilement l’épée et la lance.
— Peut-il combattre à cheval ?
— Comment cela ? s’étonna Galahad, car son écuyer n’avait jamais affronté qui que ce soit en tournoi.
— Répondez à ma question.
— Il faudrait d’abord que je consulte Gareth et Perceval.
— Alors, faites-le.
Lancelot marcha jusqu’à la fenêtre, parfaitement conscient d’avoir désarçonné son pupille. Un autre sujet le préoccupait.
— J’ai aussi remarqué l’attention que vous accordez à la jeune invitée de sire Kay, fit-il.
— J’ai accepté de devenir son champion.
— Ce n’est pas ce que mes yeux me disent, riposta le mentor en se tournant vers lui.
— Il est vrai que je suis attiré par cette enfant. Je n’arrive pas très bien à démêler mes sentiments pour elle, mais je ne peux pas les nier.
— Cette relation ne peut que vous être néfaste, Galahad. Premièrement, à cause de la distance qui vous sépare et deuxièmement, à cause de votre différence d’âge.
— Le cœur ne s’embarrasse pas de ce genre de choses, vous le savez.
— Que faites-vous des vœux que vous avez prononcés envers le roi ?
— Il a une nouvelle épouse et…
— Remettez-vous en question votre engagement ?
— Non, sire.
— Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Lancelot quitta la pièce sous le regard accablé de Galahad. Ce dernier comprenait la méfiance de son mentor à l’égard des étudiants, mais il refusait de croire qu’ils puissent être responsables de leur échec. Il savait aussi pourquoi Lancelot s’inquiétait de l’intérêt qu’il portait à Chance.
Il sortit pour la première fois du manoir, depuis qu’il avait été blessé au début de l’été. Il se rendit sur la terrasse, où Marco s’entraînait à l’escrime avec le seigneur Perceval. Il observa le combat pendant un moment, content de constater les progrès de l’écuyer. Perceval entrevit son frère d’armes. Il recula, signalant un temps d’arrêt à son adversaire. Lorsqu’il questionna Galahad sur sa santé, son frère d’armes l’assura que son épaule ne le faisait presque plus souffrir.
— Marco peut-il manier la lance aussi habilement que l’épée ? demanda-t-il à Perceval.
— Encore mieux !
— Même à cheval ?
— Est-ce sérieux, Galahad ? s’inquiéta le chevalier.
— Ce n’est pas ma décision.
Marco promena son regard de l’un à l’autre, étonné de les voir si graves tout à coup.
— Pourriez-vous me dire ce qui se passe ? s’énerva-t-il.
— Il est possible que tu sois invité à participer à un tournoi dans les prochains jours, l’informa Galahad.
— Mais il faut être chevalier pour ça, se rappela Marco. Je ne suis encore qu’un écuyer.
— Sire Lancelot a donc l’intention de t’adouber très bientôt, en déduisit Perceval.
Le maître escrimeur crut bon de poursuivre l’entraînement de son pupille à cheval. Ils rangèrent leurs épées dans les caisses que les serviteurs avaient sorties de la maison et s’éloignèrent en direction de l’écurie. Galahad ne les suivit pas, même s’il aurait aimé participer à cette importante leçon. Son omoplate était encore trop sensible pour lui permettre de soulever quelque arme que ce soit.
* *
*
À Little Rock, en plus d’être démoralisée, Amy ne se sentait pas très bien physiquement. Elle avait d’abord pensé que son épuisement provenait de sa récente aventure au Texas. Cependant, comme elle ne voulait que dormir à n’importe quel moment de la journée, Donald Penny décida de lui faire passer un examen complet à l’hôpital.
— Ce qui t’arrive est tout à fait normal, déclara son ami médecin en la rejoignant dans son bureau. Mes félicitations, Amy ! Tu es enceinte de quelques semaines !
— Quoi ? Donald, je ne veux pas avoir d’enfant avant que Terra me soit rendu.
— Galahad semble convaincu qu’il sera libéré avant la fin de l’été. Et ce bébé ne naîtra qu’en avril prochain. Arrête de t’en faire, il sera là pour sa naissance.
— Il est également possible que l’ordre n’arrive pas à le reprendre.
— Sois sans crainte, j’ai l’intention de participer au prochain sauvetage.
— Non, Donald. Des hommes sont déjà morts lors du premier. Je ne peux pas te laisser risquer ainsi ta vie. Tu as une fille maintenant et elle, au moins, elle a un père.
— Si j’ai cette petite, c’est grâce à Terra.
Amy demeura muette. Que pouvait-elle objecter à cet argument ? Même si Donald n’avait pas reçu l’entraînement des chevaliers, il était en forme et il aimait lui aussi Terra comme un frère. Peut-être y arriverait-il…